Première impression

On nous avait pourtant prévenus. Partout en Europe depuis Vidauban on nous avait mis en garde contre la Roumanie, pleine de ...roumains et de tziganes. Mais avec nos idées romantiques nous n'avons pas prêté la moindre de nos quattre oreilles a ce que nous pensions etre des préjugés. Jeunes idealistes présomptueux que nous sommes! La réalité nous donna cruellement tort.
Nos illusions ne tinrent pas plus loin que le poste frontière. Nous avions pris l'habitude de la Hongrie et de ses petits villages-rue paisibles. Quelle douche froide nous reçûmes sur nos rêves humanisants.
Figurez-vous un immense terrain vague. Au milieu de ce terrain vague, une césure: la route. Rectiligne, crevassée et bosselée. Partout a l'horizon des montagnes de détritus; plastiques, flacons, bouteilles et papiers gras en tous genres. A votre passage quelques cabeaux timorés fuient en guelant la queue entre les jambes. Les bas-cotés de la route sont jonchés de cadavres d'animaux. Brebis éventrées, pigeons décapités, rats équeutés, tortues décarapacées. Au loin, le son lancinant d'un harmonica égrenne une funèbre mélodie dont les rythmes diaboliques vous mettent les reins en mouvement. Doux Seigneur miséricordieux était-il nécéssaire de nous faire endurer cette épreuve? Pourtant nous nous brossons les dents les soirs, comme de gentils garcons!
Puis, plantées perpendiculairement à la route vous commencez à apercevoir une file de roulottes. Je ne parle pas des camping-cars suréquipés que l'on rencontre sur les routes de France. Ces roulottes là sont en bois. Un vieux bois gras badigeonné a l'huile de vidange afin d'en parfaire l'isolation. Tous les volets sont clos. Entre chaque engins, des fils tendus soutiennent des guenilles raidies par la crasse. Des corbeaux s'affutent les serres sur le fil de ces fils. Au-dessus de chaque cabanne mobile s'elance une fumée noire. Funeste présage de quelques préparation létale, sans doute.
Aguerris par notre premier mois de voyage et soucieux d'affronter les obstacles que notre Dieu nous impose, nous ne reculons pas. Alors nous avancons! (Ben quoi, on aurait très bien pu faire du sur place). Nous commencons a distinguer une silhouette. Puis deux. Puis dix. Ils sont là. Plantés. Immobiles. Ils nous regardent, menaçant. Ils ont la peau sale. Les ongles noires. Leurs visages est burinés par le soleil. Leur dent est d'or. Ils portent tous un chapeau a court rebord relevé sur l'avant. Ils arborent des barbes de plusieurs jours plantées irregulierement sur leurs mines patibulaires. Au milieu de leurs chemises a moitié deboutonnées et auréolées par la transpiration, ils portent un pendentif doré. Lourd, luisant. On peut y lire: douane. Nous qui croyons pouvoir encore bénéficier des accords de Schengen! Erreur: nous atteignons les marches de la libre circulation des personnes. Et ici, le tribu a verser pour passer est assomant.
Les douaniers portent tous a leur ceinture un couteau sanguignolant. Signes de quelques rixes avec des voyageurs recalcitrants. Nous obtenperons donc sans attendre lorsqu'ils nous ordonnent: "Dezbraca-te".
Conciliants et le benard sur les genoux nous nous exécutons.
Et voila comment, en signe de bienvenue en Roumanie, on pratique une fouille approfondie de toutes vos valeurs. Et c'est a poils que nous penetrons dans ce pays terrorisant.
Les douaniers, dans une dernière salve de rires tonitruants nous poussent un "Bou". Il n'en faut pas plus pour que, à notre tour, nous decampions a toute jambe la queue entre les jambes.

Merci a vous tous amis, rencontre, famille. Merci de vos avertissements et de votre connaissance. Pardon de ne vous avoir point entendus. Nous nous le tenons pour dit.